Je ne parle pas souvent de mon métier de prof ici parce que je préfère d’habitude partager mes photos et oublier cette foutue pandémie qui nous pourrit la vie depuis plus d’un an maintenant. Mais voilà, je viens, professionnellement, de vivre une année universitaire très particulière (elle n’est d’ailleurs pas finie) et je suis révoltée de voir dans quel état sont mes étudiants. Alors aujourd’hui il n’y aura pas de photo bol d’air, désolée… Je vais vous parler de mes étudiants.

Ils sont arrivés en cours en septembre dernier avec les masques, le gel hydro-alcoolique, les distances à respecter mais aussi, on le sentait, pleins d’espoir après un printemps passé sous la menace du virus. Pour moi aussi, c’était le retour à la normale ou presque …. Faire cours avec un masque, c’est très désagréable, on s’étouffe, on n’arrive pas à projeter sa voix correctement. On ne voit pas les étudiants « en entier » non plus et c’est toute une partie du langage qui disparaît. Je n’avais encore jamais réalisé à quel point on communique par les expressions du visage ! Eux non plus ne me voyaient pas vraiment, et pour un cours de langue, c’est bien embêtant. Il faut compenser avec la gestuelle, l’intonation, c’est épuisant.

Au bout de quelques semaines, une partie des cours est passée en distanciel car on a commencé à avoir des cas de Covid-19 dans l’établissement, de plus en plus de cas contacts sans être jamais clairement informés par notre administration. En gros, s’il y avait des cas, c’était soit la faute des étudiants qui faisaient la fête ( car oui, à 20 ans, on a envie de s’amuser, c’est un peu normal, il me semble), soit, si des personnels étaient malades, c’est parce qu’ils avaient été infectés « dans la sphère privée ».

Bref, j’ai commencé à faire une partie de mes cours sur Zoom. Sans formation préalable. J’avais bien participé à un atelier pédagogique où je pensais apprendre comment m’en servir mais en fait on a fait du team-building avec des exercices et des jeux de rôle…Sympa mais pas très utile. Alors j’ai regardé des tutos Zoom sur Youtube et j’ai expérimenté en direct.

Quelques semaines plus tard, courant octobre, ce sont tous les cours qui ont basculé en distanciel. Je ne le savais pas encore, mais je n’allais plus revoir mes étudiants en face-à-face de toute l’année.

Et là, ça a été le début d’une vie très bizarre avec le sentiment de vivre la même journée tous les jours. Groundhog day, le film avec Bill Murray et Andie McDowell, en moins drôle. 

Je faisais (et fais encore ) cours sur mon ordinateur depuis chez moi. La photo en haut de l’article, c’est mon quotidien depuis 7 mois. Mes étudiants que j’avais si peu vus en vrai sont devenus des cases noires avec des noms, parfois une webcam allumée, parfois une photo. On se raccroche à ce qu’on peut. J’ai toujours fait cours avec ma caméra allumée même si c’est très inconfortable d’être la seule personne visible face à une vingtaine d’étudiants invisibles.

Petit à petit, j’ai aménagé la pièce où je fais cours. Un deuxième écran pour moins m’emmêler les pinceaux en jonglant avec les documents à partager, une cafetière, des lampes un peu partout parce qu’en hiver il fait nuit quand on commence les cours…J’ai de la chance, j’ai surtout cours le matin. Mais les étudiants eux, c’est toute la journée. En décembre, quand ils commençaient et finissaient leur journée de cours, il faisait nuit. Et pour couronner le tout, le couvre-feu à 18 h !

J’ai senti peu à peu l’espoir qui s’effilochait. Au début, on se disait qu’on allait reprendre les cours en présentiel en janvier, puis en février. Après les vacances d’hiver début mars, on a compris qu’on ne se reverrait sans doute pas. J’ai senti une grande détresse chez certains, j’en ai dirigé vers notre psychologue déjà surchargée qui redirigeait à son tour vers des collègues psy. 

On a continué les cours, je leur demande à chaque début de session Zoom comment ça va. Ils disent que ça va, qu’ils n’ont pas le choix de toute façon. J’essaie de faire des cours un peu vivants, on a même joué en anglais à Among Us (un très bon souvenir, car ce jour-là je les ai entendus rire !).

Il ya des jours avec et des jours sans, des jours où ils ne répondent pas aux questions parce qu’ils en ont marre de passer 10 heures par jour (minimum) face à leur écran.

Ils ont mal au dos, les yeux qui brûlent, des maux de tête mais il faut continuer à étudier. Certains font du sport à la maison, cuisinent, bouquinent, font de la musique, arrivent à garder le moral. Ils font des serveurs  sur Discord  pour se retrouver, s’entraider.

Il y a la famille aussi. C’est parfois compliqué à 20 ans et plus de revenir à la maison quand on a pris son indépendance. D’un autre côté c’est chouette de pouvoir voir du monde tous les jours…

Et puis il y a les soucis financiers : pas de jobs étudiants, pour certains ça veut dire pas de ressources mais un loyer à payer, des courses à faire. Et l”ordi qui lâche, c’est la catastrophe !

J’ai des élèves étrangers qui vivent depuis le premier confinement dans leur chambre de cité universitaire (9 m2 en gros). Cette chambre, c’est là qu’ils étudient, passent leurs examens, mangent, dorment, dépriment. Alors ils y fument des joints  et ils y boivent aussi. Un peu, beaucoup, trop parfois. Parfois jusqu’à avoir envie d’en finir.

Une étudiante de la fac de droit de Rennes s’est suicidée le 15 avril. On ne l’a appris que récemment car la fac n’a pas diffusé l’information. Dans mon établissement on est vigilants mais je sais que certains étudiants vont très mal…

Hier, je suis allée en amphi faire passer un test d’anglais. Le genre de truc pas trop fun d’habitude. Eh bien j’en suis revenue ravie ! Je les ai vus ! Un amphi avec une quarantaine d’étudiants masqués, à distance les uns des autres, mais ça m’a fait un bien fou.

Alors quand je vois qu’on nous propose des ateliers pédagogiques sur l’enseignement hybride et l’adaptation de nos contenus pédagogiques, je me rends compte que cette situation  d’enseignement à distance risque non seulement de perdurer mais de devenir la norme et là, je suis très inquiète. On nous encourage même pour septembre, à dispenser une partie de notre enseignement à distance, quelle que soit la situation sanitaire ! Est-ce qu’on n’a rien compris ? On est en train de former une génération de dépressifs et de suicidaires et on veut continuer… Non, il n’est pas normal d’enseigner à distance. Les profs et les étudiants ont besoin de se voir pour apprendre ! Evidemment il y a la pandémie et j’accepte que parfois on est obligé de recourir à l’enseignement à distance. mais ce n’est pas un progrès, c’est un pis-aller qui ne remplacera jamais l’ambiance d’un vrai cours. 

Comment est-ce que je sais tout ça, me direz-vous ? Tout simplement parce que j’ai demandé à mes étudiants de m’envoyer chacun un enregistrement audio en anglais où ils me racontent leur année. Et je peux vous dire que parfois je pleure en les écoutant.

Je ferme cette parenthèse. Promis, je reviens bientôt avec des photos du Finistère !

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